REIF Info
04.03.2024

Que reste-t-il de l’intérêt commun ?

Révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale, directive sur les travailleurs des plateformes, directive sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDDD), règlement sur l’intelligence artificielle… Qu’ont en commun ces textes européens, en dehors de leurs ambitions manifestes et du peu de temps qu’il reste pour qu’ils soient adoptés ? Ils affichent au grand jour les vieux réflexes de plusieurs pays de privilégier leurs intérêts et logiques nationales au détriment de la majorité des Européens et donc de l’intérêt commun.

Le dossier des règlements de coordination (dits « 883 » du nom de l’un des règlements) est bloqué depuis 2016 par les États membres. Si deux présidences (la slovène fin 2021 et l’espagnole fin 2023) ont touché du doigt un accord final, la présidence belge a décidé de prendre à contre-pied le dossier en proposant d’exfiltrer de l’accord les points problématiques, proposition jugée inacceptable par les députés. Le texte est donc renvoyé à la prochaine législature.

Deuxième exemple : le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Ce texte ambitieux visait à imposer aux grandes entreprises l’obligation d’adopter des mesures pour prévenir les risques sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, y compris parmi leurs fournisseurs. Là encore, un accord définitif était à portée de main, mais plusieurs (grands) États membres ont décidé de virer de position pour ne pas froisser les associations industrielles nationales qui craignent les « trop lourdes charges administratives » qui résulteraient du texte, alors même que la directive s’employait à éviter le morcellement d’initiatives nationales.

L’emblématique directive sur les travailleurs des plateformes n’est pas en reste. Alors qu’une large majorité d’États membres (23 sur 27) et l’équipe de négociation du Parlement européen s’accordaient, de concert avec les syndicats, sur un texte pourtant bien affaibli par rapport à la version originale de la Commission, quelques États membres ont décidé pour des raisons parfois confuses de bloquer le texte.

Ce retour des réflexes nationaux au détriment de l’intérêt commun entraîne des conséquences concrètes : avec un accord sur la directive, 5,5 millions de travailleurs aujourd’hui indépendants auraient pu se voir attribuer un statut salarié, bien souvent synonyme d’une couverture sociale plus étendue. Pour le 883, ce sont les millions de travailleurs frontaliers, des familles ou de patients mobiles qui auraient pu être les premiers à bénéficier de ces nouvelles règles. La CSDDD insistait quant à elle à intégrer la logique de durabilité au sein des entreprises et éviter que de grandes entreprises européennes ne travaillent pas avec des sous-traitants pratiquant le travail forcé.

Cette cristallisation autour de considérations nationales doit sans doute beaucoup à l’approche des élections européennes, qui voit chacun des gouvernements en place mis en position de faire la démonstration de son bilan européen. Espérons cependant que les derniers jours disponibles pour dégager des accords voient l’intérêt commun primer, ce qui serait de bon augure pour la prochaine mandature !

L’équipe Reif – Anne-Claire, Benjamin et Adèle